Sunroof ! Bruit de Fond (Chronicart#38, septembre 2007)

Légende méconnue de l’underground britannique depuis plus de deux décennies, Matthew Bower est un peu le parrain du grand déballage freak noise qui enflamme, du free metal au free folk, toutes les musiques improvisées arty de la planète. Plus actif que jamais, il publie en cette rentrée rien de moins que deux nouveaux albums de son projet Sunroof ! Présentations.

Père de famille imprimeur dans le civil, Matthew Bower est, en profondeur, ce gaillard à guitare immense qui n’a eu de cesse, via ses groupes et projets Pure, Total, Skullflower, Hototogisu, Total ou Sunroof ! de forger et d’accoucher ce bruit de fond mal connu mais tout à fait séminal de la musique moderne. Née dans la tourmente des franges les plus radicales du post-punk, descendance frontale des grands axes de musique rituelle de bruit en liberté (de Blue Cheer à Tony Conrad, de Terry Riley à Black Sabbath), la musique sans obsidienne telle que l’active et la pratique Bower en solo ou dans la conversation, depuis le début des années 1980, est une sorte d’écheveau ultime du psychédélisme, de quête ultime du grand orgasme noise par le feedback et le bourdon sans la contrainte rock déballé par le Theatre of Eternal Music et le Metal Machine Music de Lou Reed. Son influence, surtout via le collectif informe Skullflower (il est, avec le batteur Stuart Dennison, seul membre permanent depuis 1985) est floue mais persistante, indiscutable, autant sur les séminaux Dead C, Sun City Girls, Godflesh, Jesus & Mary Chain ou, of course, My Bloody Valentine, que sur la myriade de combos plus ou moins bruyants, plus ou moins psychédéliques, qui sont la chair de l’internationale noise actuelle, du versant metal en liberté de Kevin Drumm, Sunn et al, jusqu’à celui du folk quantique de No Neck Blues Band, Circle, Vibracathedral Orchestra, du neo-psyché pas baba de Richard Youngs, Acid Mothers Temple jusqu’aux assemblages hyperactifs de junk sonique de Burning Star Core, Birchville Cat Motel, Black Dice ou Wolf Eyes. Pour ainsi dire très, trop vite, c’est la musique dense tout entière, cette belle anomalie de notre temps qui aime parler par le volume et le cataclysme, qui lui doit la vie.

Au début, il y eut Pure, trio de bruit de guitares sous influence (Butthole Surfers, le prog british, TG) lié par détours et fréquentations au Power Electronics de Whitehouse, Consumer Electronics, Ramleh et, dans le chaos d’une scène grouillante gravitant autour du label emblème Broken Flag, deux projets emmêlés, Total et Skullflower, et une infinité de line-ups incorporant jusqu’à Stephen Thrower de Coil ou Richard Youngs. Sans plan de vol, Skullflower devint ensuite presque un vrai groupe, évoluant vers des horizons de plus en plus denses, chaotiques, heurtés, quand Total rabougrit en projet solo de Bower, d’obédience initiale plus apaisée. Mais rien ne restera longtemps lisible, logique, dialectique dans le flot bouillonnant et incessant qu’est le rendement discographique tumoral de l’anglais, et bien vite, les deux projets se retrouvèrent, se croisèrent, échangeant leur raison d’être au gré des invitations, des absences, des formats quasi lisibles de transe rock mur-du-son vers du purs implosions de musique improvisée sans pulsation. En 1998, Bower lâche le nom Total pour faire plaisir à Puff Daddy, qui lance un girl-band du même nom, et crée Sunroof !, nouvelle identité, suite immédiate, réinvention, d’abord plus psychédélique, plus solaire, puis endort Skullflower. Rien, à nouveau, ne demeure lisible bien longtemps : Bower tue ou ressuscite les projets au gré des sorties ultra-limitées, des envies, des intuitions, performe Sunroof ! en duo, ressuscite Skullflower en solo, calme le jeu, électronicise, re-radicalise un projet reconnu plus apaisé, invente un nouveau pseudo sans raison précise (Mirag), collabore autant avec des labels de metal (Crucial Blast) que de musique expérimentale (VHF, Drone Disco) quand il ne sort pas les disques lui-même sur ses propres Rural Electrification Program et Heavy Blossom. « L’humeur dicte complètement quel alias je choisis quand je finis un disque. J’aime beaucoup éditer et séquencer mon propre flot, et c’est en faisant ce travail que se précise à quel projet appartient la musique. Pour aller vite, Skullflower est plus sombre. Mirag, c’est aussi Skullflower. Sunroof !, c’est de la lumière blanche, quelque chose de plus extatique ».

Bénéficiant depuis quelques années d’un regain de popularité (qu’il attribue « juste à internet »), notamment via l’admirable production de Sunroof ! ou son duo Hototogisu, avec Marcia Bassett (Double Leopards, Zaimph), Bower n’a pas ralenti la cadence : après un Skullflower en solo furieux en 2006, le premier album de Mirag, une floppée d’albums de Hototogisu en collaboration avec Prurient et Burning Star Core, voilà déjà deux items Sunroof ! furibonds (« Panzer Division Lou Reed » sur VHF, et « Spitting Gold Zebras », sur Bottrop-Boy), ainsi qu’un autre, tout à fait enragé, avec l’artiste basque Mattin». Artisan autoproclamé d’une musique « verticale », empilage trépignant, turbulent d’informations, Bower enchaîne ainsi ces jours les productions comme il édite, brutalement, sans passer par le chichitage précieux des fade-ins et fade-outs, le flot ininterrompu de sa musique de vertige, d’éternité. Chose incroyable, paradoxale, ce flot hyperdense, hyper varié, d’apparence immobile, ne cesse pourtant de se sublimer, de se surpasser. Il devrait bientôt, si tout se passe bien, dépasser la vitesse de la lumière.


Discographie sélective

En guise de guide impossible, quelques pépites exemplaires piochées dans une discographie colossale de projets emmêlés et de collaborations ponctuelles ou régulières : ou comment aborder le continent Bower sans faire trop de détours.

Skullflower « Ruins » (Shock, 1990)

Compilation qui rassemble, dans la confusion, des extraits remaniés des deux premiers jets du groupe, « Birthdeath » et « Form Destroyer » (88 et 89) : un rock machinique glacé, flouté punk, nauséabond metal, viscéralement psychédélique, déjà héroïque.
Skullflower “Carved Into Roses” (VHF, 1994)
Un des plus variés du groupe, écrasant free rock ultra-sauvage et musique improvisée dans un immense déluge flouté. Contient en outre, dit la légende, un extrait de la plus honnie des performances du groupe, à Londres, en 1993.
Sunroof ! « Silver Bear Mist » (VHF, 2005)
De son aveu, le plus « complet » des Sunroof ! (« Bliss » le talonne juste derrière), ce double album cathédrale aurait pu devenir un étalon absolu, si Bower, intarissable, n’en avait pas déjà publié quatre autres depuis, presque tous aussi indispensables. A ranger, quand même, entre le Early Minimalism de Tony Conrad et les deux premiers Velvet, pas moins.
Sunroof ! « Wings Over America » (VHF, 2003)
Le temps d’un split avec Vibracathedral Orchestra, Bower joue à l’électronicien pour un résultat époustouflant de finesse et de pertinence, explosant les textures orgasmiques et feux d’artifices par milliers dans un immense déluge numérique, dantesque, Oval de l’âge de pierre. Juste après, le presque apaisé « Cloudz » magnifie la formule en version presque folk, presque bucolique.
Hototogisu “Green” (Heavy Blossom, 2005)
Duo avec Marcia Bassett, Hototogisu est le plus saumâtre, le plus sombre des projets actuels de Bower. « Green » est une impitoyable vallée pleureuse d’assauts en stereo et de tapis de guitares hurleuses qui paye même son tribut au metal extrême.
Skullflower “Tribulation » (Crucial Blast, 2006)
Dans le déluge de sorties récentes, le plus impitoyable, le plus suppliciant des assauts de Bower qui en profite pour ranimer le nom Skullflower, « Tribulation » ne quitte les hautes fréquences de trois cent Matamp en dérivation que pour renouer avec des tapis doom viscéral monstrueux, à faire passer Sunn O))) pour un combo fluo.

2 commentaires:

pH.pH. a dit…

texte de petit hipster de l’indie rock et du noise branchouille... à oublier!

Rubin Steiner a dit…

ou pas, moi j'aime bien cet article (noise branchouille ? c'est branchouille le noise ???)