Steve Moore/Zombi - Too many zombies (Trax, mais 2009)


Dans les bourrasques de la hype, il est parfois laborieux de distinguer les plus sincères passionnés des petites frappes qui suivent le mouvement. En ce qui concerne cette niche bourrée à craquer d’images du revival late 70s qui, de Justice à Giallos Flame, s’est éprise des bandes sonores prog, discoïdes et synthétiques des gialli italiens et des séries B horrifiques américaines, on n’hésiterait pourtant pas à une seconde à sacrifier au lance-flammes 99% des groupes récemment engouffrés dans la brèche pour une seule production estampillée Steve Moore. Obsédé depuis sa plus tendre enfance par les vieux synthétiseurs et les musiques de Fabio Frizzi, Goblin ou Maurizio et Guido Angelis, ce multi-instrumentiste virtuose fut certainement parmi les premiers à aller déterrer les zombies et à distiller les ambiances oniriques de ces étranges b.o. dans sa musique ésotérique. D’abord dans le prog minimaliste et complexe de Zombi, duo qu’il forme avec le batteur A.E. Pattera et qui fut longtemps cantonné à la curiosité de concert pour metalheads nostalgiques (hébergé chez Relapse, maison mère du métal extrême) ; ensuite dans la pléthore d’albums (The Henge, Vaaalbara), de musiques de film et de remixes (du groupe grindcore Genghis Tron jusqu’à …Camille) qu’il signe sous son propre nom ou celui de Lovelock. Entre la sortie d’un nouveau Zombi exceptionnel et celle de l’hilarante b.o. qu’il signe sous le nom de Gianni Rossi pour le slasher parodique Gutterballs, il était plus que temps de parler avec notre zombie préféré, autant capable de pondre des tueries italo que de jouer du synthé avec les terribles Sunn O))).

Après le minimalisme total des albums précédents de Zombi, Spirit Animal surprend par l’exubérance de ses arrangements. Pourquoi ce changement ?
Après des années à tourner en duo, il était temps de nous violenter. J’étais fatigué de la formule synthé/batterie et j’avais un peu peur de la redite. Ajouter des guitares dans la marmite était la solution idéale pour sortir de ce territoire sombre et angoissant qui était devenu un peu trop confortable.

Comme « Cosmos », c’est un album thématique… Que signifie Spirit Animal ?
C’est un thème assez flou, mais tout à fait directeur : au risque d’avoir l’air d’un illuminé new-age, les morceaux parlent tous de cette force intérieure qui est le premier moteur de nos actions, et de comment la maîtriser. On aura beau l’ignorer, c’est elle qui nous permet de réaliser les désirs de nos vies.

On peut entendre des échos évidents de Red de King Crimson dans le morceau «Earthly Powers »…
C’est tout à fait volontaire. Je viens justement de racheter un exemplaire en superbe état de l’album, et c’est l’un de mes groupes préférés. Le rock progressif de Genesis, Goblin ou PFM est la première influence de Zombi. Nous leur devons énormément, même si l’idée de mettre au premier plan les textures des synthétiseurs plutôt que la voix ou les guitares vient de la musique électronique française des années 70.

Les mesures asymétriques et mes jeux rythmiques complexes jouent également un rôle essentiel dans la musique de Zombi : on vous rapprocherait d’ailleurs plus volontiers du math rock que du metal.
C’est tout à fait vrai. Nous adorons Don Caballero, par exemple, mais comme nous utilisons des synthés plutôt que des guitares, on nous a rarement comparé à eux. Les rythmes constituent au moins la moitié de l’intérêt de nos compositions et en tant que bassiste, j’aime l’idée que ça soit la ligne de basse qui porte la mélodie. Sans voix pour distraire l’attention, on peut vraiment jouer avec les centres d’attention, faire jouer le rôle principal à une ligne de basse jouée sur par une basse puis un arpège de synthétiseur, puis repasser à la basse et faire jouer au synthétiseur un thème… etc, ad libitum, comme les différentes lignes mélodiques dans une fugue ou une composition contrapuntique.

La manière dont vous jouez en concert semble également déterminante dans la manière dont vous arrangez vos morceaux – notamment la façon dont tu passes de la basse aux synthétiseurs.
Nous sommes une entité double, moitié groupe de live, moitié groupe de studio. Nous avons commencé par composer des morceaux dans l’optique de les jouer sur scène car à deux musiciens, il faut être très ingénieux : Paterra lançait des boucles de synthé en même temps qu’il jouait sa batterie, tandis que je jouais les nappes sur les synthés d’une main et la basse de l’autre. Mais à côté, nous avons commencé à composer des morceaux plus ambitieux uniquement pour les albums, comme « Cassiopeia » et « Taurus », sur Cosmos. Avec le temps, nos arrangements se sont beaucoup étoffés, même si ça rend nos concerts de plus en plus éprouvants. Je crois que nous sommes en train de devenir un vrai groupe de studio, en fait.

Les vieux synthétiseurs que tu utilises semblent jouer un rôle prépondérant dans ta musique. Es-tu un grand collectionneur ?
Les synthés sont ma première inspiration. Je n’aime rien tant qu’expérimenter avec les possibilités et les limitations de ces vieilles machines, pour ensuite essayer de composer dans le territoire de contraintes qu’elles m’imposent. Je les collectionne, même si je ne suis pas dans la situation financière de m’adonner à cette passion aussi insatiablement que je le voudrais : mon banquier me force à être sage et modéré. En ce moment, mes chouchous sont un Elka Rhapsody 490 (une « string machine » célèbre, ndr) et le nouveau Prophet 08 de Dave Smith, mais nous avons commencé Zombi avec trois fois rien, un Korg Polysix, un Casio CZ1000, un Sequential Circuits Six Trak et une boîte à rythmes Boss Dr. Rhythm.

Quand vous avez commencé le groupe, vous étiez plutôt isolés dans votre envie de revenir à la musique de John Carpenter, Goblin ou Fabio Frizzi. Aujourd’hui, les projets qui se réclament de ces compositeurs pullulent : qu’est-ce qui motive selon toi ce tsunami de nostalgie ?
J’imagine que c’est lié à la technologie. Quand on a commencé Zombi en 1999, les synthétiseurs virtuels qui émulaient les synthétiseurs n’existaient pour ainsi dire pas. Si tu t’intéressais à cette vieille musique ésotérique, il fallait avoir la chance d’avoir accès aux machines, assez de place dans un studio pour les brancher, et connaître quelqu’un d’assez fou pour sortir la musique que tu faisais avec. Aujourd’hui, avec Myspace et la prolifération des petits labels, n’importe qui peut se procurer des versions crackées de ces synthés virtuels, utiliser trois presets et se faire connaître rapidement. Je ne sais pas encore si c’est une bonne ou une mauvaise chose. J’ai entendu une floppée de très mauvais groupe rétros ces derniers temps, qui, j’imagine, s’éteindront avec la prochaine mode. Mais il y a tout de même quelques musiciens excellents dans le lot, comme Chateau Marmont, Martial Canterel, Turzi ou Jonas Reinhardt.

Il semble que l’essor de revival des bandes originales de film synthétiques de la fin des 70 et du début des années 80 soit autant motivée par des raisons esthétiques – le minimalisme, les sons des synthés de l’époque comme les Prophet, les Jupiter ou les Juno – que par pure nostalgie des images qu’ils illustraient.
Je suis né à la fin des années 70, il y a donc forcément une part de nostalgie dans ce que je fais : je me rappelles de tous ces programmes à la télé quand j’étais enfant, et qui regorgeaient de sons synthétiques et de psychédélisme moiré. Mais mon amour pour ces ambiances et ces sons va au-delà de la nostalgie : j’essaie moins de les recréer que de les utiliser pour bâtir quelque chose de nouveau, de filtrer ces atmosphères synthétiques à travers d’autres influences comme la pop 80s, le hard rock, le hardcore ou même la house. Le fait que ces notes de synthétiseur nous évoquent à ce point les images des films qu’elles accompagnaient démontre à quel point Frizzi, Goblin ou Carpenter étaient des génies. Il faut réhabiliter ce que la musique de cette époque avait de futuriste. Quand nous avons commencé Zombi avec Paterra, nous étions entourés par des groupes de math rock et de punk, et le fait de se plonger corps et âme dans du rock progressif synthétique était comme un gros doigt d’honneur…

Comment gères-tu ce lourd héritage quand tu composes pour un vrai film, sous ton nom ou celui de Gianni Rossi ?
C’est assez facile, parce que les réalisateurs qui me contactent attendent précisément de moi que je fasse référence aux b.o. de cette époque. Ecrire des musiques de film est assez amusant pour moi, dans la mesure où je peux me laisser aller à exposer mes influences au grand jour sans peur d’être taxé de copieur – je ne fais qu’obéir au réalisateur !

Quelle différence fais-tu entre tes différents projets, en groupe ou en solo ?
Bien que The Henge, mon premier album solo officiel, soit sorti en 2007, je pratique la musique en solitaire depuis le lycée. Pour le reste, tout dépend de la place que je laisse à Paterra pour son jeu de batterie complexe. En général l’univers de Zombi est assez cohérent : quand nous avons par exemple enregistré le morceau "Sapphire", notre intention était parodique et nous avions en tête tous ces groupes de prog qui se sont mis à faire du disco FM au début des années 80 pour amorcer un virage commercial. Lovelock est un projet tout autre : il correspond à mon désir de créer de la pop music sur des fondations cosmic et krautrock… Mais il est bien possible que je sois le seul à y voir clair dans toutes ces subdivisions et que pour la plupart, tout ce que je fais se ressemble.

Tu dois être le seul musicien au monde à faire la jonction entre le revival italo disco, le metal extreme de ton label Relapse ou le groupe Sunn O))) avec qui tu as récemment collaboré. Comment arrives-tu à y voir clair ?
Je suis très à l’aise dans cette terra incognita. Je n’ai jamais aimé les genres. La Terra Incognita est ma patrie.

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